Anomia

J’ai rêvé le chaos. J’ai rêvé l’embrassement des possibles et l’embrasement du catafalque qui berce nos torpeurs dans son éternelle tombée de l’ennui.

Il y avait du feu dans le ciel, et toute la terre tremblait de rage. Il pleuvait de la pierre, et chaque goutte offrait son poids au monde comme un baiser contenant la source de toutes les extases érotiques. Des profusions de brèches perçaient l’opercule de la norme, et à travers les trous l’on percevait des choses que les livres ne savent pas.

Les femmes donnaient naissance à des rangs d’émeutiers. Des bombes tonnaient dans chaque berceau, car les fœtus depuis longtemps croissaient dans une matrice fumante où bouillonnaient sans fin des visions de saccage. Sans mots articulés pour dire cette ordalie, c’était l’apoptose d’un système détraqué qui nourrissait au sein ses propres éviscérateurs.

Masquée, la mort cognait aux portes de ceux qui s’étaient moqué d’elle. On voyait des ministres pendus à leurs fenêtres ; des généraux au peloton, triturés par les balles ; des prêtres pourléchés par des langues infernales, dans l’incendie généralisé. Pas de pitié, par de décor ni de spectacle : chacun vivait sa pleine mesure dans l’explosion des connivences qui poussaient aux flancs du désordre. Nous étions dans l’ire transitoire, celle qui étête le monde fait de lois corrompues pour en tisser un autre dans des soies radicalement neuves, purgées des scories empesantes. L’aube était proche où les feux du cosmos tomberaient sur des fois nouvelles.

J’étais sur la colline où serpentent les colères, et déjà je sentais leurs morsures m’ouvrir des vallées sans obstacles. L’air sentait comme la fin d’un monde, et je jouissais avec les autres de l’orage abrasif qui étincelait sous mes viscères. Des griffades me mouvaient et me marquaient au monde à venir en tant que cicatrice de cette époque sauvage où nous et nos tonnerres de haine étaient les plus grands créateurs.

Folie, la belle madone, me baisa tendrement au front. Ses lèvres pompèrent l’inertie et la crainte où s’engluait ma rage, et alors ce fut une liesse solennelle d’estocades et de désossements, dans une fluidité liquide. Nous, Maelstrom briseur de barrages ; nous, cataracte indomptable jetant en rugissant tout une ère aux tréfonds de l’abîme ; nous, monde féroce et toujours à naître, poussant vers l’infini nos tourmentes et nos peines, nos désirs et nos espérances.

Le rythme symbiotique du soulèvement des spectres battait frénétiquement l’échine d’une époque épuisée par les sursauts du cœur de la révolution. L’Ordre était démoli, symptôme impératif de la nouvelle jungle à venir, jungle animée de liens intimes entre les êtres et les choses, et parcourue de nouvelles ou vieilles lois qui maintiennent l’équilibre vital.

L’Ordre était démoli ; alors l’ordre survint. D’anomie naquit anarchie, promise à de longues fratries d’expériences libres et sans dogmes. Nous prîmes la main du temps, et l’éclosion d’un nouvel âge se fit dans nos paumes excitées.

Il n’y avait plus de feu là-haut. Seulement la voûte céleste, témoin de notre renaissance.