Contre la rêverie machinée

Dormir, c’est rêver. Et rêver, à présent, c’est travailler encore. Le cerveau pollué par les circuits de cette machine, répéter les mêmes gestes grotesques jusque dans le subconscient devient inévitable. L’extension du domaine de l’aliénation, c’est toutes les nuits dans l’onirisme. La chair refouettée du larbin, c’est chaque seconde dans l’obsession de sa soumission. Continuer la lecture de « Contre la rêverie machinée »

Born to be free

« C’est tout simplement une question d’argent. 1»

C’est par ces mots, prononcés dans une indifférence toute sociopathique, qu’un biologiste (Lev Mukhametov, fondateur du delphinarium de Saint-Pétersbourg) justifie la chasse, la capture et l’exploitation des bélugas et autres mammifères marins à des fins scientifiques et de divertissement dans le documentaire Born to be free réalisé en 2016 par Gayane Petrosyan. Centré sur les traitements infligés aux bélugas capturés en Russie et détenus dans des conditions épouvantables avant d’être envoyés dans des delphinariums où l’enfermement et le dressage viennent en faire de parfaits objets de spectacle à destination du public (notamment aux États-Unis, vers lesquels ils sont largement exportés), ce reportage expose, dans toute sa violence, la façon dont la société industrielle façonne un rapport au vivant fondé sur la domination et l’asservissement. Continuer la lecture de « Born to be free »

Robert Dehoux, la subversion joyeuse

Et si le principal fléau de la gauche était son attachement fréquent aux outils mêmes de notre asservissement ? Et si, malgré la gravité de la situation et l’horreur lancinante et toujours grandissante de ce monde, «fomenter la révolution et se fendre la gueule n’étaient pas des activités incompatibles »1 ? Et si, au fond, la plus grande peur de ce système était de nous voir collectivement vomir tout notre ennui, toute notre sujétion, toutes les normes plantées dans la chair de nos aspirations intimes, pour renouer subversivement avec le jeu, la joie, l’entraide et la communauté ? Continuer la lecture de « Robert Dehoux, la subversion joyeuse »

Anomia

J’ai rêvé le chaos. J’ai rêvé l’embrassement des possibles et l’embrasement du catafalque qui berce nos torpeurs dans son éternelle tombée de l’ennui.

Il y avait du feu dans le ciel, et toute la terre tremblait de rage. Il pleuvait de la pierre, et chaque goutte offrait son poids au monde comme un baiser contenant la source de toutes les extases érotiques. Des profusions de brèches perçaient l’opercule de la norme, et à travers les trous l’on percevait des choses que les livres ne savent pas. Continuer la lecture de « Anomia »

N’écoutez pas les alarmistes : ils sont trop rassurants

Tout s’accélère sans cesse. L’enfer déjà présent est infiniment pire que ce que l’on entend ou que ce que l’on s’autorise à admettre pour conserver un peu d’espoir. Ce ne sera jamais assez dit : l’effondrement à craindre n’est pas celui de notre civilisation fondée entre autres sur le carnage industriel de la planète et de ses habitants, mais celui bien plus cataclysmique, et semblant plus imminent mois après mois, de cette même planète foisonnante, de ces mêmes habitants, de tout ce qui fait la vie, sa richesse et sa diversité sur terre. Continuer la lecture de « N’écoutez pas les alarmistes : ils sont trop rassurants »

L’imaginaire en lutte

Espérer ? Pourquoi faire, puisque la pensée se transforme en panneau publicitaire de plus ? Il y a à l’œuvre depuis bien trop d’année une marchandisation de nos richesses internes, une élaboration perverse de profit et d’industrialisation à partir du terreau fertile de nos imaginaires là où devraient y fleurir d’infinies prairies de possibles. En 2019, l’Agence nationale pour la gestion des déchets nucléaires (ANDRA) organisait un concours d’écriture de fiction pour, d’une manière intensément vicieuse, implanter à l’esprit créatif un prolongement utilitaire qui profiterait au règne des technologies morbides et meurtrières. Mais ce n’est qu’un exemple récent ; depuis longtemps, le capitalisme et l’armée se servent des récits pour coloniser l’avenir et le cerveau humain, pour justifier leur monde atroce jusque dans des régions où les perspectives radicalement neuves ne manquent pourtant pas. Continuer la lecture de « L’imaginaire en lutte »

Allégorie de la geôle de briques

Cette culture est comme une geôle de briques dans laquelle nous avons grandi enfermés. Nous y avons passé notre vie entière, et du monde nous ne connaissons qu’elle. Ses parois sont couvertes de peintures, de tableaux, de décors, symboles des mythes et des conditionnements dont nous sommes gavés, si habituels à nos yeux que nous n’en voyons plus les traits. Continuer la lecture de « Allégorie de la geôle de briques »

Le travail, le temps

Nous avons été des enfants. Nous avons été jeunes, insoucieux, énergiques, gorgés d’une soif d’apprendre et d’une vitalité profondes. Nous avons voulu vivre, quel que soit l’avenir, quelque gueule de charogne que puissent avoir nos lendemains, vivre juste, et courir, et aimer, et nous sentir présents. Comme si nous avions su que l’enfance était cet asile hors duquel nous serait refusé le droit à la rêverie, à la passion, à l’émerveillement. Nous avons cherché à pomper tout le suc de la vie dans notre première décennie, car ce que notre esprit touchait des suivantes, ce que nos yeux voyaient de nos aînés, nous n’en gardions que le marasme, l’ennui et la misère. Continuer la lecture de « Le travail, le temps »

Antipoème du confinement

C’est l’heure, faut croire. L’heure creuse, l’heure fatale, fatalement vide, fatalement libre, libre car peuplée d’un silence où on trouve rien à faire, c’est l’heure du laps où on hésite, de la bulle microcosmique à l’échelle d’une décapitation capitaliste où on prend conscience de la farce, de la force du bordel, de l’emprise cataclysmique d’un travail qui aliène, qui bouffe, qui mâche, recrache, remâche, recrache dans des torrents de boue que charrient les plus grandes misères qu’on n’aperçoit qu’à la télé, bien au chaud sous sa couette, quand on décide d’avoir bonne conscience en regardant ce qui se trame en bas, dans les rues des pestiférés qui n’ont nulle part où se confiner quand les pires fantômes foulent le bitume. Continuer la lecture de « Antipoème du confinement »